L’extrémisme religieux en Azerbaïdjan : menace réelle ou prétexte à l’autocratie

albin

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L’élite dirigeante a utilisé le croquemitaine de l’extrémisme islamique pour se présenter comme la gardienne d’un État azerbaïdjanais laïc et stable, afin de rationaliser l’adoption de politiques plus autocratiques, tant au niveau national qu’international.

En décembre, le département d’État américain a placé pour la première fois l’Azerbaïdjan sur sa liste de surveillance spéciale pour « avoir commis ou toléré de graves violations de la liberté de religion ».

La Commission américaine sur la liberté religieuse internationale (USCIRF) a signalé une recrudescence de la suppression des libertés religieuses et une intensification des persécutions visant les communautés musulmanes, 19 personnes ayant été emprisonnées en raison de leur foi au cours de l’année précédente.

Le gouvernement azerbaïdjanais a vivement contesté cette classification, son Comité d’État pour le travail avec les institutions religieuses dénonçant la partialité du rapport, l’accusant de s’appuyer sur des sources favorables à l’Arménie et de diffuser des récits trompeurs.

La situation s’est encore aggravée lorsque l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a refusé de ratifier les pouvoirs de la délégation parlementaire azerbaïdjanaise, soulignant la violation des libertés religieuses parmi ses préoccupations, ce qui a conduit les responsables azerbaïdjanais à accuser le rapport d’« azerbaïdjanophobie » et d’« islamophobie ».

En fait, la trajectoire de la politique religieuse de l’Azerbaïdjan est passée de l’ouverture relative des années 1990 à un régime de réglementations de plus en plus sévères depuis le début des années 2000. Ce qui avait commencé comme des mesures réglementaires légères s’est transformé en une répression rigoureuse, chaque amendement législatif au cours des deux dernières décennies réduisant toujours plus les libertés religieuses.

Ces modifications législatives ont notamment été adoptées sans consultation publique, ce qui a contribué à l’instauration d’un régime de censure omniprésent. Il s’agit notamment de l’interdiction des prières publiques en dehors des mosquées, de la fermeture de lieux de culte, de l’emprisonnement d’individus religieux et de la pénalisation des objecteurs de conscience au service militaire. Ces mesures ont eu un impact disproportionné sur les militants chiites, soulignant une tendance selon laquelle les personnalités religieuses constituent souvent une part importante des prisonniers politiques du pays.

L’élite dirigeante a utilisé l’épouvantail de l’extrémisme islamique pour se présenter comme la gardienne d’un État azerbaïdjanais laïc et stable, afin de rationaliser l’adoption de politiques plus autocratiques, tant au niveau national qu’international.

La deuxième guerre du Karabakh de 2020 n’a pas seulement vu le triomphe militaire de l’Azerbaïdjan. Elle a également marqué le début d’une ère de contrôle plus strict des libertés civiles, affectant des centaines, voire des milliers, de membres de la communauté chiite. Cette période a également été marquée par des relations tendues avec l’Iran, les arrestations étant souvent présentées comme un démantèlement des réseaux d’espionnage iraniens.

Pourtant, de nombreuses personnes détenues ont été accusées de trafic de stupéfiants – une fausse accusation couramment utilisée pour réprimer la dissidence en Azerbaïdjan – en particulier à la suite d’un attentat meurtrier à l’ambassade d’Azerbaïdjan à Téhéran en janvier 2023. La réponse du gouvernement a reflété la rhétorique américaine de la « guerre mondiale contre la terreur » après le 11 septembre, en l’utilisant comme un outil politique pour présenter les menaces perçues comme des justifications de pratiques autoritaires, avec peu de contrôle indépendant pour vérifier ces accusations. En substance, « pas une menace pour ce qu’elle est, mais une menace pour ce qu’elle représente ».

Il est indéniable que la position géographique stratégique de l’Azerbaïdjan l’expose à diverses influences du monde islamique, notamment celles des États arabes du Golfe, du Caucase du Nord russe, de la Turquie et de l’Iran. Cette position pourrait théoriquement le rendre susceptible d’être infiltré par des services de renseignement étrangers, notamment iraniens, dans un contexte d’escalade des tensions bilatérales.

Néanmoins, la nature extensive des récentes mesures de répression du gouvernement, qui ont notamment dépassé l’ampleur de l’incident de Nardaran en 2016 – où environ 90 militants chiites ont été arrêtés – soulève de sérieuses inquiétudes. Le recours fréquent à des accusations douteuses de trafic de drogue à l’encontre des détenus, dans le contexte de la structure de gouvernance autocratique de l’Azerbaïdjan, indique une tendance plus large à la répression. Cette tendance reflète les tactiques de répression utilisées contre les vestiges de la presse indépendante, les activistes de la société civile et les manifestants.

L’approche du gouvernement à l’égard de la dissidence ou de toute forme d’opposition, comme les manifestations des habitants du village de Soyudlu contre les activités minières ou les actions des médias indépendants comme Abzas Media, consiste souvent à qualifier ces groupes d’agents de puissances étrangères. De même, les chiites détenus sous des chefs d’accusation douteux sont présentés comme une « cinquième colonne » qui mine ostensiblement l’État.

Cette méthode est délibérément utilisée par les autorités pour réorienter la conversation nationale du discours sur la démocratisation vers les questions de politique ethnique et de religion, domaines dans lesquels il existe un large consensus au sein du pays, couvrant même le spectre idéologique de l’opposition. Ce faisant, le gouvernement étouffe effectivement les voix dissidentes, préservant l’ordre politique existant et détournant l’attention des lacunes de l’État et des questions intérieures urgentes.

Souvent, les répressions, en particulier dans un cadre religieux, n’étouffent pas la mobilisation, mais peuvent au contraire renforcer l’identité collective et l’activisme des mouvements lorsqu’ils sont pris pour cibles par l’État en tant qu’adversaires.

En Azerbaïdjan, une telle stratégie, marquée par de nombreuses arrestations et la sécurisation d’une communauté entière, rend involontairement le pays plus vulnérable aux influences extérieures. Le groupe Huseyniyyun, basé en Iran et prônant un État théocratique, a pris une ampleur considérable au cours des quatre dernières années, exprimant des griefs sociaux et religieux.

Si le renforcement de la légitimité du président Aliev après la victoire sur le Karabakh et la stabilité de la situation sécuritaire du pays sont susceptibles de limiter l’impact immédiat du groupe, qui devient davantage un phénomène dans les cercles des médias sociaux, son potentiel de galvanisation de certains segments de la population ne doit pas être sous-estimé.

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